40 ans après sa mise à l'eau, le sloop océanique de 60 pieds
en aluminium Neptune sera au départ de la Legends Race, entre Göteborg
et La Haye le 21 juin prochain. La Legends Race, qu'est ce que c'est exactement ? Une course à part
entière, entre Göteborg et La Haye - de 462 milles nautiques - qui aura
lieu en même temps que la dernière étape de la Volvo Ocean Race 2017-18,
et qui se dispute entre les bateaux légendes des éditions passées, dont
Neptune.
Pour l'occasion, nous avons échangé avec le skipper qui l’a pensé et
mobilisait toute son énergie et ses moyens financiers pour le faire
construire et participer à la deuxième édition de la Whitbread : Bernard
Deguy.
Sa construction a démarré en 1976 dans les chantiers Pouvreau à Vix
en Vendée sous les ordres de l’architecte André Mauric. Il a été mis à
l’eau en juillet 77 dans le but de courir la deuxième édition de la
Whitbread de 1977-78 lors de laquelle il finira huitième sur quinze.
Après cette aventure humaine le bateau est finalement vendu en 1982 pour
sa destination actuelle : la Guadeloupe.
Sous le nom de Jupiter, il se transforme en bateau charter, très
apprécié dans toutes les îles des Caraïbes. Il est immobilisé une
dizaine d’années suite à diverses fortunes de mer comme le cyclone Hugo
en 1989 où en quittant ses amarres il est endommagé sur tout le flanc
bâbord. Le remplacement des parties abimées provoque de l’électrolyse
car l’aluminium remplacé n’était pas compatible avec l’aluminium employé
lors de sa construction.
En 1995 un groupe de personnes passionnées par ce bateau d’exception,
décide de le remettre à flot dans les règles de l’art, au plus proche
de son état d’origine. Grâce à l’aide de bénévoles venus de tous les
horizons, Neptune a pu recourir dans des régates caribéennes comme la
Heineken régata, les voiles de Saint Barth, la Triskell Cup etc…
L’énergie de ce groupe à vouloir garder le bateau dans son état
d’origine, a suscité l’intérêt de rencontrer Bernard Deguy afin de
l'associer à la démarche.
Contacté il y a quelques semaines, Bernard nous a livré davantage
d’informations sur la participation de Neptune à la Legends Race en juin
prochain.
"Neptune sera à Göteborg le 12 juin prochain et participera à la Legends Race avec
un équipier de 1977-78 - Alain Caudrelier, qui n’est autre que l’oncle
du skipper français de Dongfeng Race Team. Alain a fait la troisième
étape en 1977-78, c’est-à-dire Auckland - Rio, et il viendra participer
avec Neptune à l’étape entre Göteborg et La Haye."
Il nous a par ailleurs évoqué son passé avec la course.
"J’ai fait 3 étapes en 1973-74, la première sur Critère et les deux suivantes sur Pen Duick 6."
Comment avez-vous vécu la première Whitbread 1973-74 ?
La première course autour du monde, ce n’était pas une course,
c’était une découverte, une aventure, c’était tout ce que vous voulez
quoi…
La deuxième course autour du monde sur Neptune, on avait
100 bouteilles de vin rouge par étape ! On jouait de la guitare ! On
avait même créé un comité de lecture qui avait donné 10 bouquins par mec
à bord !
Pourriez-vous nous décrire l’atmosphère à bord ?
Et bien c’était une découverte totale, il y avait une flotte
complètement hétéroclite, à savoir, qu’il y avait des vieux bateaux en
bois, il y avait deux bateaux neufs qui avaient été faits pour la course
(dont Pen Duick 6), il y avait des bateaux de série, dont Aventure qui a
gagné. Il y avait des Swan 62.. enfin c’était vraiment un truc
totalement hétéroclite dans une aventure plus qu’une course. C’était une
découverte d’un univers maritime, tout le monde était là bénévolement,
il n’y avait aucune captation financière au niveau des bateaux, ni des
équipages.
Chaque bateau était une histoire complètement folle dans laquelle
il n’y avait aucun professionnalisme entre guillemets telle qu’est
devenue la course autour du monde aujourd’hui.
Pourriez-vous nous parler du bateau Neptune, et d'ou vient ce projet ?
Alors Neptune c’est la deuxième course autour du monde.
L’histoire commence lors des deux étapes Cape Town - Sidney, et Sidney -
Rio sur Pen Duick 6 [en 1973-74].
D’abord je suis le plus vieux à bord de Pen Duick 6 avec Éric
Tabarly. Je ne l’ai jamais rencontré avant. Je suis photographe, donc je
l’ai bien entendu photographié parce que je travaille dans des revues
nautiques, et c’est par l’intermédiaire du journal Neptune Nautisme que
j’embarque pour remplacer deux équipiers qui ont été virés à Rio, quand
il a démâté et qu’il a changé son mât.
J'apprends que j’embarque à Rio deux jours avant le départ de la
deuxième étape, et je découvre un équipage incroyable, qui est le reflet
de la façon dont Éric gère ses marins. Le premier qui se présente
embarque !
À bord, il y a un équipage de bric et de broc de gens forts
sympathiques, mis à part Olivier de Kersauson qui navigue avec Éric
depuis Pen Duick 3.
Les autres ont soumis leur candidature pour un embarquement sur
Pen Duick 6 (4 jeunes font leur service militaire à bord, dont Marc
Pajot), et les autres sont des gens qui ont présenté leur candidature ;
alors il y a un médecin du sport, un curé qui dirige une école de voile
pour des jeunes à Nantes, il y a un architecte, il y a un officier radio
qui vient de la Brittany Ferries… C’était hallucinant ! Bilan de l’opération, on finit premier de la deuxième étape… !
Moi j’ai débarqué à la fin de la deuxième étape pour rentrer à
Paris pour travailler, mais Éric a descendu son deuxième mât le 29
décembre, juste avant d’arriver à Sydney. Comme je prenais l’avion le 5
ou le 6, il m’a demandé si je pouvais revenir pour la troisième étape.
On est arrivé à Rio 10 jours après le départ de la quatrième étape, qui était en fait une course poursuite !
Bilan, sur Pen Duick 6 j'ai rencontré Bernard Rubinstein - qui
était prof de maths - à qui j’ai demandé de faire un reportage pour
Neptune sur la dernière étape, et c’est comme ça qu’il est rentré dans
le journalisme nautique. Avec Gilles Vaton, Bernard Rubinstein Daniel
Gilles, on a discuté avec Éric.. puisque la Clipper Race partait deux
ans après la premiere Withbread. On lui a dit “Éric il faut faire un
bateau spécifique pour cette course’ donc on a fait dessiner un bateau,
on avait quasiment trouvé un sponsor et au dernier moment on s’est
retrouvé le bec dans l’eau.
Là on s’est dit ben merde, on va faire la prochaine Withbread
avec notre bateau ! On est parti dans une recherche de sponsor qu’on n'a
jamais trouvé, on a lancé le dessin chez André Mauric, qui nous a dit
‘bon vous êtes trois de Neptune’ le bateau s’appellera Neptune jusqu’à
temps que vous trouviez un nouveau sponsor.
Pourquoi faire compliqué ? Comment se passe la recherche de sponsors ?
On n'a pas trouvé de sponsor, et je suis rentré dans un délire
total. J’ai vendu ma maison en Bretagne, ce qui m’a permis d’avoir un
tiers de la somme du bateau. J’ai emprunté les deux tiers avec le
premier, et j’ai fait construire le bateau ! On était en course
poursuite financière permanente et on a mis le bateau à l’eau avec 4
mois de retard, après le 14 Juillet 1977.
On est parti complètement essoré financièrement, sans aucun moyen
et on a gagné la coupe Flyer ! C’était la coupe du bateau qui arrivait
dans le meilleur état à la fin de la course !
Que s'est-il passé une fois la course terminée ?
Tout le monde est descendu du bateau en me disant merci, je me
suis retrouvé avec je ne sais combien de milliers de francs de dette, et
j’ai cherché à vendre le bateau immédiatement. Je n’ai réussi à le
vendre qu’en 1982 ! Entre temps j’ai monté une école de voile avec, je
l'ai loué pour des évènements, j’ai tourné un film avec : Les
Quarantièmes rugissants avec Jacques Perrin.
Quand j’ai enfin trouvé un acheteur, j’ai dis "merci seigneur",
et là j’ai tout arrêté, je suis retourné dans la photo et dans les
convoyages.
Quel est votre lien avec la course aujourd'hui ?
Ce qui m’amuse c’est d’aller sur le site de la Volvo Ocean Race, de voir où en est Dongfeng...
Le bateau quittera la Guadeloupe ce mois-ci pour quelques croisières
en Méditerranée, avant de participer à la Legends Race le mois prochain.
Départ le 21 juin.
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