Navigateur de Turn the Tide on Plastic sur les trois premières étapes de la Volvo Ocean Race, Nicolas Lunven
est rentré en France pour la quatrième, remplacé comme c’était prévu
par Brian Thompson. Avant de retrouver son équipe à Hong Kong, le double
vainqueur de la Solitaire du Figaro évoque l’étape en cours et son
expérience au sein de l’équipage mené par Dee Caffari.
Nicolas, la flotte sort tout juste d’un Pot-au-Noir particulièrement éprouvant, qu’en penses-tu ?
Je
me dis que je suis bien content de ne pas être à leur place, parce que
ça n’a pas dû être facile à vivre ! J’étais resté à Melbourne jusqu’au
départ de l’étape pour bosser sur la météo avec Brian Thompson, le
Pot-au-Noir semblait alors plutôt clément, il s’est finalement avéré que
la situation météo a sacrément changé, parce qu’ils ont eu un
Pot-au-Noir tout simplement horrible : ils ont passé des journées
entières à moins de 3 nœuds sous une chaleur infernale avec un vent
parfois complètement à l’opposé de ce qui était prévu !
Comment vit-on à bord un tel Pot-au-Noir ?Ce
n’est pas facile à vivre, parce qu’il y a de longues heures pendant
lesquelles il ne se passe quasiment rien. Après, il peut y avoir de gros
nuages avec lesquels tu ne sais jamais trop à quelle sauce tu vas être
mangé, avec soit beaucoup de vent soit pas grand-chose et derrière, tu
retrouves des situations de calme avec du vent faible, voire nul. Sur
les images envoyées, on a d’ailleurs souvent vu les bateaux
littéralement faire du surplace entre deux nuages. Globalement, la
conclusion que j’ai tirée de mes précédentes expériences, c’est que
souvent, quand tu as des nuages dans le Pot-au-Noir, tu es content
pendant cinq-dix minutes parce que tu as du vent, et puis derrière,
pendant une heure ou deux, tu n’as plus rien dans la traîne du nuage et
tu perds trois fois plus que ce que tu as gagné, à te dépatouiller avec
jamais la bonne voile ni les bons réglages, c’est un peu la catastrophe.
Est-ce très stressant ?Ce type de
navigation en lui-même n’est pas forcément stressant. En revanche ce qui
est stressant, c’est de se dire sans arrêt que si ça se trouve, le
copain à quelques milles d’ici a réussi à attraper un nuage et va
s’échapper. Dans l’instant, tu as toujours ce doute, c’est un peu au
petit bonheur la chance. Sinon, il y a aussi la chaleur qui n’est pas
facile à vivre et là, ils ont eu vraiment très chaud : j’ai vu que l’eau
était à 32 degrés, ça laisse imaginer la température de l’air, c’est
plus de 40 ! Sur le pont, tu n’as pas beaucoup d’ombre, et dans le
bateau, je ne vous explique pas l’ambiance, il doit faire une chaleur
insoutenable, avec l’odeur qui va avec… C’est sûr que c’est très
contrasté par rapport à l’étape d’avant qui était plutôt l’étape du
grand froid…
Sont-ils désormais tirés d’affaire ?J’ai
l’impression qu’ils commencent à avoir la direction du vent normale.
Jusqu’à maintenant, ils ont eu pas mal de bâbord amure alors que
normalement, ils auraient dû être en tribord ; là, depuis mercredi
après-midi, ils sont tous en tribord amure, ils vont rentrer dans un
régime un peu plus normal avec un vent qui va peu à peu se renforcer en
montant vers le nord. Ils ne sont pas encore complètement tirés
d’affaire, mais ça va vers le mieux, ils vont aller attraper les alizés,
ce qui leur permettra de bifurquer pour aller au nord-ouest vers les
Philippines.
Quelle sera la suite du programme ?Un
long bord vers les Philippines, avant d’attaquer la Mer de Chine vers
Hong Kong, avec quand même pas pal de pièges sur la route. Il y a
d’abord les alizés qui ne sont pas si simples que ça, parce que ça veut
dire pas mal d’oscillations du vent qui nécessitent d’adapter les voiles
et les trajectoires. Ensuite, il y a l’approche des Philippines, avec
pas mal d’îles puis beaucoup de courant et une mer potentiellement
mauvaise dans le Détroit de Luçon, enfin la Mer de Chine avec un régime
général de vent de nord-est qui peut être assez fort le long de la côte.
Quel regard portes-tu sur le parcours de Turn the Tide on Plastic sur cette étape ?Ils
ont réussi à bien négocier le Pot-au-Noir, puisque, après plus de la
moitié de l’étape, ils sont bord à bord avec MAPFRE. Quelque part, c’est
presque déjà une victoire pour cet équipage assez jeune et
inexpérimenté. J’imagine qu’ils sont remontés comme jamais d’être
vraiment bien dans le match, c’est encourageant pour la fin de l’étape
et pourvu que ça dure jusqu’à Hong Kong !
Pour revenir sur le début de Volvo Ocean Race, tu es arrivé assez tard sur le projet, comment se sont passés les débuts ?C’est
vrai que je suis arrivé tard sur le projet, parce que j’ai été appelé
pour remplacer Brian Thompson qui s’est blessé l’été dernier, ce n’était
pas prévu que je fasse la Volvo Ocean Race. La préparation globale du
projet a en elle-même été tardive, donc forcément, on court un peu
derrière le temps par rapport à des équipes mieux préparées et mieux
organisées. Nous, on fait tout à la va-vite avec nos petits moyens, mais
c’est très enrichissant, ça permet d’apprendre en vitesse accélérée
puisque nous faisons beaucoup de choses par nous-mêmes. J’ai aussi
appris à découvrir Dee, quelqu’un qui est très facile à vivre. Elle a
toujours le sourire, met les gens en confiance, responsabilise, les
choses se passent bien dans la bonne humeur, c’est très agréable de
naviguer sur ce projet. Et au niveau de la navigation, c’est aussi très
intéressant, parce que nous avons travaillé chaque étape avec Brian sur
la météo mais aussi sur tout ce qui est électronique, calibration,
informatique, logiciels… Des domaines dans lesquels il est beaucoup plus
compétent que moi. Du coup, nous avons trouvé un fonctionnement
intéressant en nous répartissant les tâches, chacun se repose sur
l’autre, ça permet d’aller droit à l’essentiel.
Tu as vécu ta première étape de Grand Sud entre Le Cap et Melbourne, qu’en gardes-tu ?Au
final, ça correspondait à l’image que je m’en faisais en fonction de ce
que j’avais pu lire ou entendre. C’est-à-dire qu’il fait froid, que
c’est très humide et qu’il y a toujours du vent ! 20 nœuds, ce n’est pas
beaucoup pour là-bas, en vent moyen, nous avons constamment eu entre 20
et 35 nœuds. Quant à la mer, elle est mauvaise : sans être très haute,
elle peut assez vite être croisée parce que, alors que tu es au milieu
de nulle part, le vent est assez instable en force et en direction. Ce
n’est donc pas facile de savoir quelle surface de voile avoir, comment
régler le bateau, quel angle choisir par rapport aux vagues pour faire
souffrir le bateau le moins possible. Après, ce sont aussi de bons
moments de navigations avec des éclairages, des cieux, des levers et
couchers de soleil assez incroyables.
Quels peuvent être les objectifs de l’équipe d’ici la fin de cette Volvo Ocean Race ?Il
y a pour l’instant deux équipes, MAPFRE et Dongfeng, clairement
au-dessus du lot, ensuite, AkzoNobel, Vestas et Brunel sont aussi
au-dessus de nous, même si pour le moment, Brunel est un peu en retrait.
Enfin il y a Scallywag et nous. J’ai donc envie de dire que l’objectif
premier est de finir devant Scallywag, la cerise sur le gâteau serait de
terminer devant Brunel qui est pour le moment en-deçà de ses ambitions.
L’objectif est en tout cas clairement de progresser et d’acquérir de
l’expérience. Je trouve que c’est le cas et si on arrive à bien faire
prendre cette mayonnaise-là, si l’équipe parvient à bien finir cette
étape à Hong Kong, ça peut être un petit déclic pour nous faire franchir
un pas supplémentaire et essayer d’accrocher des résultats sur les
étapes suivantes.
Quelle est la suite du programme pour toi sur la Volvo Ocean Race et après ?Maintenant
que Brian est opérationnel, je vais un peu moins naviguer. Je repars à
Hong Kong début février, puis je navigue tout le mois de février, j’ai
ensuite une longue pause parce que je ne fais pas l’étape
Auckland-Itajai. Ensuite, je ferai sans doute encore une ou deux étapes.
Pour l’après-Volvo, je n’ai pas trop de visibilité. Mon ambition reste
de faire le Vendée Globe, mais on verra ça quand j’aurai un peu plus de
temps de m’en occuper.
Conrad Colman : « Un Pot-au-Noir infernal »Figurant parmi les @RaceExperts de la Volvo Ocean Race, le Néo-Zélandais Conrad Colman
livre son analyse du Pot-au-Noir particulièrement pénible vécu par la
flotte : « Le Pot-au-Noir a été infernal, avec 500 milles de pétole ! A
part s’arracher les cheveux et implorer le ciel, il n’y a pas
grand-chose à faire ! C’est pour ça que Bouwe Bekking est chauve, à
force de passer le Pot-au-Noir dans les deux sens sur ses huit
précédentes Volvo Ocean Race (rires). Simon Fisher (Vestas 11th Hour
Racing), un navigateur pour lequel j’ai beaucoup d’admiration, dit qu’il
faut une part de chance dans le Pot-au-Noir, on peut très bien naviguer
et beaucoup perdre, parce que les conditions sont souvent totalement
aléatoires. Il faut donc arriver à être zen, accepter son sort, faire
preuve de patience. Mais c’est parfois très dur, tu as l’impression que
ton cerveau est soumis à une cuisson lente, la vie à bord peut être
infernale avec la chaleur, chaque centimètre carré de ta peau dégouline
malgré les litres d’eau que tu bois ».
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